LeRouge&leBlanc n°149

La revue

N° 149
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AOP Mercurey : Des progrès à confirmer

Mercurey : Des progrès à confirmer

Alsace : Le pinot noir enfin grand cru

Journal de vigne : Pourvu que ça dure ! 

Raúl Davos Dávalos : un vigneron argentin au(x) sommet(s)

Interview : Pascaline Lepeltier, la revolution du palais

  • Terra Vita Vinum Anjou et Vin de France
  • Le temps des rêveurs Vin de France (Provence)
52 pages
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Extrait de la revue

Soufre, la guerre des mondes

PHILIPPE BARRET

Non, le dosage du soufre dans le vin n’est pas un combat dépassé. Nous en avons eu la preuve lors de déplacements récents dans le vignoble et sur des salons de vins de tendance “nature”. À l’image des débats qui enflamment la société civile ou la politique ces derniers temps, les controverses autour du soufre ressemblent moins à des échanges constructifs qu’à des querelles riches en invectives.

Ainsi, nous avons été récemment stupéfaits de la réaction de plusieurs vignerons talentueux (parfois en “bio” ou en biodynamie) quand nous leur avons appris que, lors d’une de nos dernières dégustations d’appellation, les meilleures notes concernaient des cuvées totalement sans soufre. Leurs réponses sont allées de « Peut-être, mais ce ne sont que des vins simples, de soif » à « Vous me permettrez d’en douter » en passant par le définitif « Ce n’est pas possible, il y a forcément un truc ». Pas de chance : nous avons en mains les analyses du Centre Œnologique de Bourgogne. Pour le blanc elles précisent : “soufre non détecté” en libre et inférieur à la limite de quantification (10 mg/l) en total ; même chose pour le rouge, à la nuance près que le soufre libre est inférieur à la limite de quantification (5 mg/l). Le tout avec des acidités volatiles inférieures à 0,5 g/l.

À l’inverse, lors d’un récent salon de vins majoritairement “naturels”, nous avons pu entendre à plusieurs reprises des dégustateurs commenter d’un air savant : « Ton vin ne peut pas être “nature”, il n’a pas le moindre défaut ! », et plusieurs vignerons nous ont confirmé qu’ils étaient confrontés à de telles inepties dans tous les salons où ils se rendent.

Comment expliquer de telles incompréhensions ? On peut penser que ces vignerons ont été très majoritairement formés à l’école de l’œnologie classique où on leur a répété sans cesse qu’un vin ne pouvait pas être stable sans une bonne dose de SO2. Les plus ouverts de cette génération imaginent peut-être que ce serait envisageable de s’en passer ou, au moins, d’en limiter fortement les doses, mais ils n’osent pas franchir le pas, aller vers le “lâcher prise”, par peur du risque sans doute. Peut-être aussi parce qu’ils n’ont pas assez confiance en eux ou dans leurs raisins ?

Quant aux amateurs de défauts dans les vins naturels, il est probable que la plupart manquent d’expérience en dégustation ou pêchent par une vision trop idéologique du vin, et que la reconnaissance facile des “défauts” caractéristiques d’un vin “nature” leur permet de se sentir valorisés d’appartenir à la “tribu des naturistes” et des pourfendeurs du vin industriel.

Finalement ces deux “camps” passent à côté du “vrai” vin, tel que le définit Pascaline Lepeltier dans son interview (voir p.38 et suivantes). Celui qui offre un minimum d’émotion, parfois un maximum, un sentiment inaccessible quand le vin a été excessivement “cadré” par un contrôle total du processus, de la vigne à la mise en bouteille. Pour émouvoir le dégustateur, le vigneron doit prendre des risques afin que sa vigne reflète le terroir et que son vin soit libre d’exprimer son fruit et sa texture. Qui dit risque dit parfois échec sur une barrique ou une cuvée qui doit alors être mise au rebut. 

Dans la génération de jeunes vignerons maintenant à la tête de domaines familiaux ou qui créent le leur, une part significative imagine élaborer leurs futurs vins de la façon la plus naturelle possible, sans intrants et avec peu ou pas de soufre, tout en se révélant droits et sans défauts. C’est pour eux incontournable, comme, pour la génération précédente, l’évidence était de passer en “bio”. L’expérience maintenant longue des pionniers du “nature” permettra à ces jeunes vignerons de maîtriser plus vite une démarche exigeante, que ce soit à la vigne et en cave (qualité des raisins, hygiène, etc.).

Cette évolution nous paraît inéluctable, comme l’a été (et le reste) la conversion vers une viticulture “propre” et soucieuse d’une écologie globale. La guerre du soufre sera gagnée par des vignerons ouverts d’esprit et des consommateurs mieux éduqués.