Viticulture

Une Journée Avec… Marc-André Selosse

Une expédition au pays des microbes et des tannins
Une expédition au pays des microbes et des tannins

Dans la série de nos articles offrant un éclairage technique sur le monde de la vigne et du vin, nous vous proposons aujourd'hui une plongée dans le monde fascinant des champignons, des microbes et des tannins…

 

Marc-André Selosse, qui n’a aucun lien familial avec le célèbre vigneron champenois, est biologiste, botaniste et mycologue. Il est spécialiste des interactions symbiotiques entre champignon et plante, dans les do maines de l’écologie et de l’évolution. Il travaille et enseigne au Muséum national d’Histoire naturelle, ainsi que dans des grandes écoles françaises et universités étran gères (Gdansk en Pologne et Kunming en Chine). Amateur de vin aux goûts éclec tiques allant de la Bourgogne à l’Auvergne, il est également très actif dans la sphère viti cole. À travers deux ouvrages1, il nous fait découvrir la construction de la richesse et de la beauté du monde par l’infiniment petit. Longtemps considérés comme seulement néfastes, les microbes se révèlent être de véritables alliés pour le monde du vivant et pourraient être une réponse pour une agriculture moins dépendante des engrais et des produits phytosanitaires.

Extraits de l’article paru dans le numéro 138

R&B Pouvez-vous définir la famille des microbes à laquelle vous attachez une si grande importance ?

Les microbes sont une sorte de catégorie fourre-tout dont les éléments ont en com mun d’être très petits et invisibles à l’œil nu, c’est pour cela que nous avons mis du temps à les découvrir et à les étudier. Le mot “microbe” recouvre des groupes extrême ment variés. Il y a les bactéries, très petites et souvent unicellulaires, et les champignons, plutôt filamenteux bien que certains soient unicellulaires, comme les levures. Il y a aussi des algues microscopiques et les virus. On classe parfois ces derniers hors des microbes parce qu’ils ne forment pas de cellules, mais ils sont très petits aussi et contribuent à di verses symbioses*2. Du fait de leur taille et de leur diversité d’espèces (des millions), les microbes sont très nombreux. On considère qu’il y a plus de bactéries que d’étoiles dans le ciel. Au-delà de ces nombres, il y a aussi une grande diversité de mode de vie, de niches écologiques. Par exemple, il y a des bactéries qui vivent en oxydant le fer (c’est la rouille !), d’autres qui transforment l’azote atmos phérique en protéines pour les plantes… L’extrême diversité de métabolismes et de niches écologiques conduit les grands orga nismes, plantes et animaux, à avoir souvent recours à des microbes pour réaliser une symbiose en vue d’acquérir des fonctions complémentaires. Historiquement, ils ont été associés à la maladie ou au parasitisme, car c’est par le biais de leurs effets délétères qu’ils ont été découverts. Nous avons mis beaucoup de temps à déceler leurs aspects positifs, alors que la majorité d’entre eux sont pourtant neutres ou bénéfiques. Ce qui est plutôt une bonne nouvelle pour nous, vu que le monde est surtout fait de microbes. Au jourd’hui, nous savons qu’ils contribuent au fonctionnement normal des organismes et nous découvrons leurs rôles dans le maintien en bonne santé de l’homme et de la plante.

R&B Comment ces microbes présents dans notre environnement entrent-ils en relation avec les plantes ?

À l’inverse de l’animal, la plante est très ouverte sur le milieu, en raison de son contact direct et fixe avec le sol, et de ses stomates* ouverts sur l’air ambiant. De très nombreux microbes sont en contact avec la plante, au niveau de ses racines, de sa tige ou de ses feuilles. Un tissu de plante saine contient cent millions de bactéries par gramme ! De nombreux virus sont présents aussi, même sans symptôme visible. Leur identification commence tout juste, mais nous en connaissons déjà qui protègent cer taines plantes de la sécheresse ou du froid. Savez-vous avec combien de champi gnons la vigne est-elle en contact quoti diennement ? Les feuilles sont soumises à une perpétuelle pluie de spores*, entre 500 et 10 000 par jour sous nos climats. Ces spores appartiennent à de nombreuses espèces dont la plupart ne se développeront pas. Parmi celles qui germent se trouvent des pathogènes, mais aussi des espèces neutres, qui ne provoqueront aucun symptôme, et des espèces protectrices des feuilles qui s’attaquent aux champignons pathogènes, protégeant ainsi la feuille. Les microbes sont également très pré sents dans les sols. Dans un gramme de sol sec, on trouve plus d’un milliard de bactéries qui appartiennent sans doute à un million d’espèces différentes, et entre dix mille et cent mille espèces de champignons. La ra cine d’une plante en germination rencontre ainsi des hyphes* ou des spores de cham pignons qui permettent la colonisation de la racine, entre les cellules. Cet enchevêtre ment de la racine et du champignon prend la forme d’un tissage cellulaire et moléculaire. Cette association symbiotique aboutit à une structure qui n’est ni une racine ni un cham pignon, mais un mélange des deux, appelé mycorhize*. Mes équipes de recherche, en France et à l’étranger, travaillent sur cette symbiose. Chez neuf espèces sur dix, dont la vigne, on retrouve le champignon dans les racines et sept sur dix sont incapables de se nourrir seules, sans champignon, sauf si elles poussent dans un sol dans lequel il y a beaucoup d’engrais.

Retrouvez l'intégralité de l'article dans notre numéro 138

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